TRIBUNE | Parce que la non-mixité est parfois nécessaire dans l’éducation populaire

Le 17 mars 2021, Mélanie Luce (présidente de l’Union nationale des étudiants de France – UNEF) expliquait que le syndicat organise des réunions non-mixtes pour permettre aux personnes touchées par le racisme de pouvoir exprimer ce qu’elles subissent. En face, la journaliste Sonia Mabrouk avait opté pour une posture offensive. Faisant mine de ne pas comprendre les discriminations exposées par Mélanie Luce, la journaliste d’Europe 1 ne prendra pas le risque de répondre à la question : « Pourquoi on considère ça différent quand ce sont des personnes qui parlent simplement du racisme qu’elles ont pu vivre, et quand ce sont des femmes qui parlent du sexisme qu’elles ont pu vivre ? »

Au-delà du mépris apparent de la journaliste, il n’a pas fallu longtemps pour que des réactionnaires régissent de toutes parts. Parmi eux·elles, des élu·es républicain·es se sont rapidement fait entendre, et sont allé·es jusqu’à porter plainte contre le syndicat, en demandant sa dissolution. Les conséquences dépassent désormais le cadre de l’UNEF, car c’est aujourd’hui toutes les associations qui peuvent organiser des espaces de non-mixité qui sont menacées.

En effet, jeudi 1er avril 2021, le Sénat adoptait un amendement LR (Les Républicains) au projet de loi séparatisme. Cet amendement vise à autoriser la dissolution des associations qui organisent des réunions non-mixtes. Vous pouvez retrouver plus de détails sur le site de Public Sénat.

Les Ceméa du Centre – Val de Loire se positionnent contre un tel amendement et une telle dynamique sociétale.

En 2017 et dans l’autre hémicycle, Daniel Obono, déclarait « La pratique de la non-mixité n’est pas dangereuse dans le sens où c’est une pratique qui répond, à un moment donné, à des besoins d’une catégorie. Je reviens à l’exemple des mouvements féministes. Les personnes qui sont victimes de violence sur un certain nombre de questions vont avoir besoin de dire qu’il va falloir qu’on puisse discuter en se sentant en confiance. »

Est-ce nécessaire de préciser que la question de la non-mixité ne dérangent plus nos élu·es quand il s’agit d’observer les situations individuelles des député·es et sénateur·rices ?

La non-mixité ne doit pas être réduite à la caricature de « dérives racialistes » que lui font certain·es sénateur·rices. Comme on peut le lire dans l’article d’Assma Maad paru le 31 mars dans Le Monde, « ces réunions [non-mixtes] n’ont rien de nouveau : elles ont été expérimentées dans les années 1960 par le mouvement noir américain pour les droits civiques, ou par le Mouvement de libération des femmes (MLF) en France dans les années 1970 ». Pour de nombreuses personnes discriminées, la non-mixité choisie est un outil nécessaire permettant à des minorités sociales de s’encapaciter à travers des espaces sécurisés (« safe spaces« ), ou des espaces qui ne sont pas absolument sécurisés mais qui souhaitent le devenir (« safer spaces« ), excluant les personnes qui peuvent leur faire subir des oppressions. Permettre la dissolution de ces groupes de paroles, c’est empêcher l’expression de celles et ceux qui ne peuvent pas exprimer facilement les oppressions qu’ils ou elles subissent. C’est agir structurellement pour maintenir des personnes dans une situation de vulnérabilité. C’est assumer un projet de société dans lequel les dominant·es dominent, et les dominé·es subissent sans condition une mixité choisie par des groupes sociaux dominants.

« Aucun texte constitutionnel ou législatif ne fixe d’obligation de mixité. L’objectif de mixité se déduit des principes suivants : le principe d’égalité entre les sexes, intégré à la Constitution de 1946 ; le principe de non-discrimination, défini par de nombreuses lois (notamment celle du 16 novembre 2001) ; le principe d’égalité des usagers devant le service public. La loi garantit toutefois le droit à la non-mixité dans certains cas. Ainsi, sont autorisées les « discriminations fondées, en matière d’accès aux biens et services, sur le sexe lorsque cette discrimination est justifiée par la protection des victimes de violences à caractère sexuel, des considérations liées au respect de la vie privée et de la décence, la promotion de l’égalité des sexes ou des intérêts des hommes ou des femmes, la liberté d’association ou l’organisation d’activités sportives. » (source : Agence Nationale de la Cohésion des Territoires – Quatrième édition du kit pédagogique de formation Valeurs de la République et Laïcité)

On note dans cette explication de l’ANCT que la non-mixité est permise notamment dans « la promotion de l’égalité des sexes ou des intérêts des hommes ou des femmes. » Et s’il est capital de lutter contre le sexisme, les phénomènes discriminatoires ne se limitent malheureusement pas à la question du sexe. Racisme, classisme, validisme, âgisme , lookisme, mais aussi grossophobie, transphobie, homophobie, psychophobie, islamophobie, etc. : les oppressions sont nombreuses et intersectionnelles, et la non-mixité peut être une nécessité pour obtenir l’émancipation des minorités discriminées.

Ainsi, s’il est possible de garantir des espaces non-mixtes pour promouvoir l’égalité des sexes, il nous semble capital qu’une garantie puisse également être donnée pour toutes les personnes subissant des oppressions, non pas pour en faire un projet de société (voir sur ce point le positionnement des Ceméa Pays de la Loire), mais bien pour constituer un outil permettant à des personnes vulnérables d’échapper de leur condition d’opprimée. La non-mixité choisie est un échappatoire ponctuel nécessaire pour des personnes : elle n’est aucunement la cause potentielle d’une société divisée et ségrégée.

À ce titre, les Ceméa du Centre – Val de Loire appellent à la solidarité envers les groupes sociaux discriminés. Nous appelons à l’écoute et à la considération de ces groupes exprimant leurs besoins politiques. Nous demandons à ce que les groupes de paroles au service de personnes discriminées cessent d’être diabolisés, et affirmons qu’ils ne sont en rien comparables à des ségrégations organisées par des dominant·es inscrites dans des logiques réellement discriminantes.

Enfin, au-delà des problèmes que soulèvent cet amendement, nous appelons tou·tes les acteur·rices de l’éducation populaire à se mobiliser contre le projet de loi séparatisme, qui nous semble instrumentaliser les principes républicains plutôt que de les conforter.

Positionnement du conseil d’administration des Ceméa du Centre – Val de Loire, publié le mardi 6 avril 2021.

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